Expressionnisme abstrait…

Mark Rothko est un peintre abstrait et appartient à ce que Clement Greenberg a appelé l’expressionnisme abstrait en reprenant une formule d’Alfred Barr écrite en 1929 mais attribuée à Kandinsky…
C’est en 1948 que la manière que nous connaissons, que nous admirons et que nous aimons se fixe (en abandonnant une peinture figurative marquée par le surréalisme et par la référence mythologique) et qu’une école se crée véritablement avec Motherwell, Still et David Hare. L’expressionnisme abstrait se déploie selon deux directions, celle d’une peinture à la gestualité véhémente et même violente (Pollock, De Kooning) qui sera appelée l’Action painting et celle d’une peinture de grandes plages colorées où la configuration des choses d’une part et la trace gestuelle du peintre d’autre part tendent à s’effacer derrière les vibrations plus anonymes d’un espace plan, purement visuel et optique au sein duquel l’aspect haptique ou manuel est résorbé dans ce que Greenberg a appelé un color-field, un champ coloré. Ce champ coloré possède plusieurs effets.

Le premier effet est de celui de la frontalité qui fait dire à Rothko « mes tableaux sont bien des façades[9]. » Cet effet de façade est pratiquement un effet de muralité à cause de la conjonction de l’abstraction et du grand format. Cet effet de frontalité repose aussi sur celui de la planéité du tableau se donnant à voir dans une absence de profondeur au sens perspectiviste du terme. La profondeur du tableau n’est qu’une profondeur de surface : non une profondeur apparente ou illusionniste, mais la profondeur d’une simple surface plane qui apparaît et qui est voulue comme telle.

Le second effet est celui de coupure du tableau par rapport à l’espace environnant mais d’une coupure qui n’est pas celle de la classique peinture de chevalet parce que cette dernière se sépare de l’espace comme un objet (un objet de luxe, dit Greenberg) alors que le tableau comme champ coloré se coupe de l’espace environnant comme un autre espace, un espace autre, qui possède son intégrité, son unité propre, sa propre densité et sa présence.

Le troisième effet est un effet de sublime et de fascination par lequel le regard du spectateur est happé et ravi (aux deux sens du terme) par un spectacle qui l’enveloppe et le dépossède.

Le quatrième effet du color field est la réduction du tableau à la seule visibilité de sa couleur qui occupe tout l’espace ou plutôt qui crée un espace optique et haptique. Greenberg commentant l’expressionnisme abstrait fait remonter ce colorisme à Turner « qui, le premier, rompit de manière significative les conventions du clair et du sombre…

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